jeudi 6 novembre 2008

Solon

Plutarque nous raconte comment Athènes, au début du VI ème siècle avant notre ère, se
donna les moyens de sortir de la crise économique et sociale, un exemple à méditer
Bientôt les anciennes dissensions sur le gouvernement se ranimèrent, et la ville se partagea en
autant de factions qu’il y avait de différentes sortes de territoires dans l’Attique... Dans le même
temps, la division que cause presque toujours entre les pauvres et les riches l’inégalité de fortune
étant plus animée que jamais, la ville, dans une situation si critique, semblait n’avoir d’autre
moyen de pacifier les troubles et d’échapper à sa ruine que de se donner un tyran. Les pauvres,
accablés par les dettes qu’ils avaient contractées envers les riches, étaient contraints de leur
céder le sixième du produit de leurs terres; ou bien, réduits à engager leurs propres personnes, ils
se livraient au pouvoir de leurs créanciers, qui les retenaient comme esclaves ou les envoyaient
vendre en pays étranger. Plusieurs même étaient forcés de vendre leurs propres enfants, ce
qu’aucune loi ne défendait ; ou ils fuyaient leur patrie, pour se dérober à la cruauté des usuriers.
...
Dans cette fâcheuse conjoncture, les plus sages des Athéniens eurent recours à Solon, comme le
seul qui ne fût suspect à aucun des partis, parce qu’il n’avait ni partagé l’injustice des riches, ni
approuvé le soulèvement des pauvres ; ils le prièrent de prendre en main les affaires et de mettre
fin à ces divisions...Enfin il fut élu archonte... et chargé en même temps de faire des lois de
pacification...
Il ne céda rien par faiblesse aux citoyens puissants, et ne chercha pas dans ses lois à flatter ceux
qui l’avaient élu. Il conserva tout ce qui lui parut supportable ; il ne voulut pas trancher dans le
vif et appliquer mal à propos des remèdes violents, de peur qu’après avoir changé et bouleversé
toute la ville, il n’eût pas assez de force pour la rétablir et lui donner une meilleure forme de
gouvernement. Il ne se permit que les changements qu’il crut pouvoir faire adopter par
persuasion, ou recevoir d’autorité, en unissant, comme il le disait lui-même, la force à la justice.
On lui demanda quelque temps après s’il avait donné aux Athéniens les lois les meilleures. «
Oui, répondit-il, les meilleures qu’ils pussent recevoir. »...
Sa première ordonnance portait que toutes les dettes qui subsistaient seraient abolies, et qu’à
l’avenir les engagements pécuniaires ne seraient plus soumis à la contrainte par corps.
Cependant quelques auteurs, entre autres Androtion, ont dit que Solon n’abolit pas les dettes ;
qu’il en réduisit seulement les intérêts ; et que les pauvres, satisfaits de ce soulagement,
donnèrent eux-mêmes le nom de décharge à cette loi pleine d’humanité. Elle comprenait aussi
l’augmentation des mesures et de la valeur des monnaies. La mine ne valait que soixante-treize
drachmes ; elle fut portée à cent : de manière que ceux qui devaient des sommes considérables,
en donnant une valeur égale en apparence, quoique moindre en effet, gagnaient beaucoup, sans
rien faire perdre à leurs créanciers. Cependant la plupart des auteurs conviennent que cette
décharge fut une véritable abolition de toutes les dettes ; et leur sentiment est confirmé par ce
que Solon lui-même en a dit dans ses poésies, où il se glorifie d’avoir fait disparaître de l’Attique
ces écriteaux qui désignaient les terres engagées pour dettes. Le territoire d’Athènes, disait-il,
auparavant esclave, est libre maintenant ; les citoyens qu’on avait adjugés à leurs créanciers ont
été, les uns ramenés des pays étrangers où on les avait vendus et où ils avaient si longtemps erré
qu’ils n’entendaient plus la langue attique; les autres, remis en liberté dans leur propre pays, où
ils étaient réduits au plus honteux esclavage.

frédéric Guelle

mardi 4 novembre 2008

discussion sur la situation economique

Le jeudi 30 octobre la Section du 9/10 s'est réunie et a discuté de la situation
économique.
Les documents de travail:
-Rapport d'information du Sénat, mars 2000.
-A quoi servent les Hedge Funds? Problèmes économiques, la Documentation française, 23 mai 2007.
Comme toujours la perception du changement n'intervient que lorsque le changement est en fait déjà bien engagé depuis très longtemps. On nous faire rêver d'une refondation du capitaliste, il sera moralisé et éthique à la sauce Max Havelaard. Cette crise improbable serait aussi une rupture historique majeure après une histoire économique linéaire qui va du courageux marchand de Venise du XII ème siècle au méchant spéculateur titrisateur de la City d'aujourd'hui en passant par le vertueux entrepreneur anglais du XIX ème siècle. Faisons d'abord un sort à la moralisation d'un système. Il n'y a de morale ou d'immoralité que par les individus. Le capitalisme n'étant pas un individu, la question paraît réglée de façon quasi métaphysique. Le capitalisme fonctionne à la cupidité. Quant à la rupture historique on peut la situer aussi le 15 août 1971 quand le Président Nixon déconnecte le dollar de l'or mettant fin à Breeton Woods. Elle peut être aussi en 1973 quand les monnaies deviennent de simples actifs dont les cours varient selon l'offre et la demande. La substitution du système des changes flottants au système des parités fixes et la fin du contrôle des changes ont accentué l'influence de la spéculation alimentée par le crédit. Depuis la banque italienne du Moyen-Age et surtout la création de la banque d'Angleterre en 1694, les banquiers peuvent créer de la monnaie par des prêts fractionnels de dépôt d'abord en or puis aujourd'hui en actifs. En 1694 le ratio était de 2 pour 1 aujourd'hui il peut être de 30 pour 1 ou nul pour certains produits financiers. Les innovations et l'ingénierie financière dues à l'informatique et à l'interconnection des grandes places financières accroissent considérablement les gains et la masse monétaire. Ainsi les hedge-funds, des placements très risqués, étroitement liées aux banques, sont devenus des acteurs incontournables du système financier international. Aujourd'hui, on compte plus de 9 000 fonds alternatifs ou spéculatifs, gérant 1868 milliards de dollars sur un ensemble d'actif mondial qui s'élèvait à 55 000 milliards en 2007 avec des performences autour de 10%. S'ils apportent des liquidités utiles au bon fonctionnement du système financier, ils jouent un rôle déterminant dans les fusions, les démantèlements ou les faillites d'entreprises.
Actuellement 95% de la monnaie en circulation dans le monde est une monnaie-dette créée par les banques et les institutions financières à l'occasion de prêts ou de placements. Cet argent prêté ne vient pas des dépôts ou des bénéfices de l'organisme de prêts mais d'une reconnaissance de dette gagée par les actifs de l'emprunteur qui n'ont de valeur que celle donnée par le marché. Ce papier, qui est une ingénieuse transformation de créances en titres financiers (la titrisation), devient alors une sorte d'argent négociable sur le marché financier. Ces dettes sont des prêts hypothécaires immobiliers, des contracts de locations d'autos, des cartes
de crédit à paiements différés ou revolving... Leur rendement étaient supérieurs aux bons du Trésor et aux obligations. Ils avaient un fort pouvoir de levier, un actif de 1 permettait d'emprunter 30. Afin de capter une partie de ce trésor de grandes institutions vendaient des assurances contre les risques spéculatifs.
Cette masse monétaire en constante progression doit être liée à la libéralisation des échanges et à une forte croissance pour éviter les risques d'inflation. Elle doit irriguer le monde sans entrave pour le rendre plus prospère et contribuer à une meilleure allocation des ressources, c'est l'avis de deux chantres du Néo libéralisme l'économiste Milton Freedman et le directeur du FMI Michel Camdessus. La fabuleuse économie de la dette est cependant sujette à des crises violentes qui ne sont pas nouvelles. En 1997 et 1998 l'afflut de capitaux dans le secteur immobilier en Asie du Sud Est a contribué à former une bulle spéculative entretenant l'endettement. Les institutions financières empruntaient des sommes colossales pour les engager dans des prêts spéculatifs. La chute de l'immobilier a fait plonger les banques de la région. Notre crise est assez proche. Avec un taux directeur de la Fed qui passe de 1% à 5,25% entre 2004 et 2006 et une chute des prix de l'immobilier, les emprunteurs ont vu leur mensualité grimper et ont été dans l'incapacité de rembourser. L'importance du non-remboursement et la chute de l'immobilier a précipité la crise des établissements de prêts hypothécaires et l'onde de choc a ensuite touché le secteur de la banque et de l'assurance. L'argent réél des ménages hypothéqués a cessé d'alimenter la machine à fabriquer des liquidités virtuelles: la machine à sous s'est bloquée.
A la suite de la crise asiatique de 1997-1998 un rapport du Sénat avait constaté que les organes de contrôle internes étaient inefficaces comme la capacité des opérateurs à saisir l'évolution des risques. Le même rapport présentait le risque de la titrisation: "Les innovations financières... offrent une large gamme d'opportunuité pour échapper aux contraintes du ratio de Cook. Une pratique courante consiste par exemple à regrouper un ensemble de prêt pour les tranformer en titres de créance cessibles à des investisseurs actifs sur le marché. La titrisation permet en effet aux banques de formater leurs engamenent de telles sorte que leurs obligations d'immobilisation de capitaux propres soient minimisées au regard du ratio de Coke." (Rapport d'information du Sénat, n°284, mars 2000). Enfin les sénateurs pointaient les risques de crise systémique. En 1999, le Président Chirac lors d'une visite à Breeton Woods déclarait:" Nous savons quelles réformes doivent être accomplies ... il faut aussi renforcer les obligations des Etats et des institutions financières internationales en matière de transparence. Il faut accroître nos capacités de prévention de crises. Il faut adopter un vrai code de la route pour la circulation des capitaux, un code qui s'applique à tous, y compris aux fonds d'investissement spéculatifs et au centres "offshore". Le 21 octobre dernier devant le Parlement européen le Président Sarkozy déclarait: " La crise financière systémique incroyable, invraisemblable... Et le monde stupéfait découvre le 15 septembre 2008 qu'une banque peut faire faillite." Il a vraiment la mémoire courte. Aujourd'hui on nous annonce une nouvelle régulation du capitalisme mais le diable est comme toujours dans les détails. Que faut-il réguler? les produits, les acteurs, les investisseurs, les pratiques sur les marchés? Comment réguler? la régulation indirecte ou l'autorégulation? Si on veut réguler les produits des fonds des paradis fiscaux, c'est impossible car les politiques d'invetissement sont régies par des
dispositions contractuelles, il faut donc les supprimer les paradis fiscaux. On veut réguler les acteurs, il existe déjà en France un agrément obligatoire par l'Autorité des marché financiers, en Grande Bretagne un agrément et un suivi régulier par la Fiancial service authority, avec la crise les Etats-Unis se doteront-il enfin d'un agrément par la Securities and exchange commission? On veut réguler les pratiques. S'il est, par exemple, quasiment impossible de limiter à priori l'intervention des hedge funds sur les marchés il est possible d'obliger les établissements financiers à identifier clairement leurs risques sur les produits dérivés et à les rendre publics chaque trimestre. Les institutions financières peuvent ne plus travailler hors bourse et hors bilan les credit default swaps, CDS. L'ensemble des Etats peuvent interdire pour les deux ou trois années à venir la titrisation des prêts immobiliers supérieurs à 50% du prix d'achat. Va-t-on étendre la régulation qui existe déjà et faire appliquer les recommandations de l'organisation internationale des commissions des valeurs du 19 novembre 2007?
Ce qui est sûr c'est que ce sont les vrais gens qui vont payer la facture. A-t-on aussi oublié les plans du FMI pour sortir de la crise les pays d'Asie, le fameux programme d'ajustement structurel qui a plongé la population dans la misère? Selon un article du 15 mars 2008 du Global Europan Anticipation: "d'ici la fin de 2008, nous allons assister à une formidable déroute de l'ensemble des fonds de pension de la planète, mettant en péril tout le système des retraites par capitalisation. Ce cataclysme financier aura une dimension humaine dramatique puisqu'il correspond à l'arrivée à la retraite de la première vague des baby-boomers aux Etats-Unis, en Europe et au Japon: les revenus des fonds de pension s'effondrent au moment même où ils doivent commencer à effectuer leur première grande série de versements aux retraités.". Cette situation nous oblige avant tout à faire une politique sociale efficace pour préserver les systèmes sociaux et un plan de relance pour lutter contre la récession et l'inflation. La meilleure relance est celle qui permet de financer des infrastructures dont l'Europe manque cruellement pour améliorer ses communications au sein de l'Union mais aussi avec ses voisins de l'Est et du Sud. Pour financer ce plan on mobiliserait l'épargne intra-communautaire et surtout on ouvrirait largement notre économie aux fonds souverains asiatiques et moyen-orientaux. Ces derniers détiennent des surplus de capitaux et cherchent des possibilités d'investissement. Ces programmes intégreraient bien entendu le développement durable, ils seraient financés par l'emprûnt garanti au niveau mondial par les institutions internationales et par les grands Etats de la planètes.

frédéric Guelle